Rose-Marie François

in Nos Lettres n°15
Association des écrivains belges de langue française, Bruxelles, 2015


Nous n’avons plus rien entendu, rien vu que le vent qui s’enfuyait entre les arbres et parfois revenait chargé de visages à jamais amuïs. [...]

Retombée d’enfance

Nous n’avons plus rien entendu, rien vu que le vent qui s’enfuyait entre les arbres et parfois revenait chargé de visages à jamais amuïs. Humble et grandiose, ma terre – entre la verte Flandre et le noir Borinage. Je disais les petits carrés en montrant au loin, au soleil de juillet, la découpe nette des champs et des prés. Gravés sous mes paupières, le jaune des blés mûrs, le vert vif des fourrages, le vert tendre des pâtures, illuminent la grisaille des jours et redorent un instant mes cheveux de cendre. Il aura fallu la Courlande pour retrouver ma terre, où glisse l’ombre d’inquiétants rapaces surgis de forêts légendaires hantées par l’incroyable cruauté des hommes. La musique est le silence bleu du ciel, à peine orné d’un bourdonnement d’abeille ou d’un cri d’alouette. Puis un lâcher de bombes confisque la maison. À l’abri sous la terre, mes yeux fermés retrouvent la lumière des champs. Mon enfance est passée à mes petits-enfants. Puisse-t-il leur en chaloir comme de l’an quarante.

Rose-Marie FRANÇOIS