Fiche n°626 Photo de Une Afrique en fragments
Une Afrique en fragments

Poèmes-voyages. Avec peintures d'Isabelle Vaessen
Le Tétras-Lyre, Liège, 2017


Après la parution, en 2015, de Course lente avant l'Aurore , je me suis aperçue que ce recueil de récits ne disait rien de mes expériences subsahariennes. Aussitôt, j'ai composé un ensemble de flashes-souvenirs "de 1946 à 2016" : voyages, rencontres...


Hier soir, belle et riche rencontre poétique entre deux passionnés et amoureux de l'Afrique ; l'un Noir, l'autre Blanche mais dont les deux voix chantent de concert la vie, le soleil, les couleurs, les sens et la beauté de l'Afrique. Grâce à vos voix chaudes, maternantes et envoûtantes et à l'oaristys de vos mots, nous nous sommes laissés bercer tels des navires par la caresse des vagues un soir d'été. Au côté de ce guerrier des mots qu'est Nimrod, tu es, Rose-Marie l'agojié, aussi armée de mots. La guerre, n'a qu'à s'effacer et à disparaître ! Philippe MINON, Bibliothèque des Riches Claires.

Rose-Marie François, Une Afrique en fragments

La définition est une précaution d’approche d’un objet donné, une tentative avortée de son domaine d’extension poétique du fait de sa riche, subtile et imprévisible complexion. Aussi, Rose-Marie François nous prévient-elle d’emblée : Anecdote, en letton, veut dire « blague ». L’anecdote, en français, est légère, secondaire, marginale. Si elle est grave, elle s’en excuse. La vie ? Verroterie d’un collier bigarré dont on croirait, parfois, tenir le fil… Il faut en effet tenir le fil d’Ariane d’une Afrique en fragments  le tenir jusqu’au bout, pour réaliser que chacun des vocables employés porte un programme, sinon une intention. Dire légèrement l’Afrique est une gageure. L’anecdote lui sied gravement. Mais tout de même ! Quel Africain ne pilerait pas net devant le mot « verroterie » ? Il désigne l’objet par lequel l’occident scella notre destin à travers la traite atlantique, dès la fin du XVIe siècle. Rose-Marie raconte l’Afrique de son enfance à l’enfance de ses enfants, sans oublier ses petits-enfants. Pour nous, l’histoire moderne africaine a été pliée par la verroterie. La poète le dit à sa manière en évoquant ses voyages au Kenya, en Égypte, au Sénégal, au Nigeria, dans la corne de l’Afrique, en Ethiopie  partout. Elle le dit de l’intérieur ; elle n’est pas une voyeuse, elle s’engage… Le sourire d’une Massaï ou d’un petit Nigérian ; le henné de Fatou, l’institutrice sénégalaise, et Madagascar, Haïti, etc. Le monde noir aux quatre coins du monde ne cesse de donner raison au mot de Senghor d’après lequel « l’Afrique est liée à l’Europe par le nombril » ! Et Rose-Marie François ajoute dans l’antépénultième poème de son recueil : Marcher, surtout ne pas se retourner – sur l’avenir qui nous précipite, notre passé de pierre autour du cou. c’est, au fond, l’eau claire qui nous rouvre les yeux nous rend mille langues, bienheureux amphibies. Je suis désolé de dramatiser cette fin édénique, car elle me rappelle un autre mot, célèbre aussi, d’Édouard Glissant, portraituré également dans Une Afrique en fragments, qui soutenait : « le plus grand cimetière des peuples noirs est l’océan atlantique. » (je cite de mémoire). La grande réussite de ce recueil de poèmes c’est de n’en avoir pas l’air. Par-delà l’anecdote et la gravité — par-delà les poèmes pris isolément. NIMROD

SUBTROPICALE POESIE Rose-Marie FRANÇOIS, Isabelle VAESSEN (ill.), Une Afrique en fragments 1946-2016, Tétras Lyre, 2017, 74 p., 16€, ISBN : 978-2-930685-28-1 J’entame ici la traversée : des souvenirs vers un avenir de calme et de liberté Germaniste de formation, traductrice entre autres du letton, passionnée par les langues endogènes, en particulier le picard, Rose-Marie François poursuit une œuvre poétique qui se densifie au fil des recueils traduits eux-mêmes en plusieurs langues. Depuis Course lente avant l’aurore publié en 2015 aux éditions Maelström, l’auteur puise dans ses voyages pour embarquer le lecteur vers des contrées personnelles à la fois linguistiques et géographiques. C’est ici, dans ce dernier opus paru, l’Afrique subsaharienne que chante la poétesse. Une mosaïque de souvenirs africains glanés pendant un demi-siècle de rencontres et de compagnonnage sur le continent. Septante-quatre sizains ciselés qui résonnent du Togo au Sénégal et où l’auteure se promène en quête peut-être d’une autre peau.

La lumière est exquise, excessive, incisive me mord les cils, les aisselles et les sangs. Va-t-elle m’énucléer ? Le mot existe encore ? Je cherche à distinguer mon habit de ma peau : un épiderme de coton, blanche lenteur d’une insistante, une insolente, lacération.

Jouant sur les assonances, les allitérations, sur le jeu des rimes internes, la langue se déplie au contact des éclairs qui surgissent de la mémoire, vaste vasque de palabres rythmés par les tambours du cœur. Sanguine et dansante, la poésie semble souffler sur le sable des textes qui ont laissé des traces dans l’imaginaire de Rose-Marie François. Les pas et les visages de certains auteurs évoqués qui ont pour noms Glissant, Jabès ou Senghor. Mais si la mémoire garde ici l’empreinte ensoleillée de certaines semelles de vent et de plaisir, l’auteur n’oublie pas pour autant, loin de là, la violence brûlante de l’Afrique. Une Afrique aphone de cris qui ne sont plus seulement des chants mais bien les marques de douleurs indélébiles. Tout au long du texte, le vocabulaire parfois âpre sectionne les saisons et fait écho à la fragmentation des corps excisés, mutilés. Ces haches qui confondent le tronc des arbres durs avec le tronc des hommes. Ces lames qui confondent l’immensité de l’Océan avec l’intimité des femmes. Les mots de Rose-Marie François, rehaussés par les lumières fortes des peintures d’Isabelle Vaessen, captivent et envoûtent en réussissant le pari d’entremêler habilement les ombres et les lumières d’une Afrique contrastée. Une Afrique charnelle où le corps se laisse facilement «ensoleiller vif»! Rony DEMAESENEER, Le Carnet et les Instants


Photo 124 de Une Afrique en fragments

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