Fiche n°724 Photo de Temps sans faux
Temps sans faux

Poésie
L'Arbre à Paroles, Amay, 2020


Écrire la Nuit
Écrire par Terre
Écrire sur l'Eau
Écrire en Rêve



Coups de coeur du Carnet Poésie

Il est temps de réinviter la beauté

Rose-Marie FRANÇOIS, Temps sans faux, Arbre à paroles, 2020,135 .p, 13 €, ISBN : 978-2-87406 700-6 Lauréate de nombreux prix littéraires, Rose-Marie François aborde depuis Girouette sans clocher, son premier recueil de poèmes parus en 1971, la littérature sous différents angles. La poésie et le roman en constituent le socle. Elle accoste aussi aux rivages de la scène avec des textes, qu’elle aime à jouer elle-même. Spécialiste de littérature lettone, elle en a été l’ambassadrice en langue française par de nombreuses traductions et contributions à des anthologies plurilingues.

Nous avons tenu à évoquer d’emblée ces différentes facettes de l’œuvre de Rose-Marie François, tant il nous a semblé en deviner les éclats dans le dernier recueil en date qu’elle publie sous l’enseigne de L’arbre à paroles sous le titre-valise de Temps sans faux. Dès l’exergue du recueil, la poète semble nous donner une clé de lecture de cet ensemble de textes : « Mais qui ne rêve/d’un/temps sans faux/d’un temps sans fin/ sans/le coup de feu/ de la / Faucheuse ? » La résonance funeste de cette première page ouvre quatre sections, comme quatre saisons, dont chacun des intitulés est placé sous le signe l’écriture : Écrire la nuit, Écrire par terre, Écrire sur l’eau, Écrire en rêve.

S’ouvrant sur un rêve d’éternité, le livre s’achève par une manifestation symbolique de celle-ci, à travers l’enthousiasme de l’enfant : « ‘Omaïe, je sais écrire/tout à coup !’ et il épèle…/Oui, tout à coup/il sait écrire et veut me le dire./À lui d’écrire./Je peux partir ».

Entre ces deux pôles du livre, la poésie évoque quelques-unes des vocations de l’autrice. Ainsi, le goût des langues est annoncé dans un Avant dire : les merles de Babel. Rose-Marie François y évoque « l’oiseau imitateur », le merle dont elle fait le symbole des « truchements, des interprètes ». Ce sont eux, les traducteurs qui « brouillent les frontières de l’étranger, /de l’insolite, de la crainte de l’autre et de l’inimitié ». En deux vers irréductibles, Rose-Marie François salue leur œuvre, dans une évocation qui embrasse l’écriture, la littérature, l’enseignement, le jeu théâtral, tout ce qui produit cette « polyphonie, chaque jour/sauve la cité des hommes ».

L’angoisse du départ, de la mort, du Définitif adieu, si elle sous-tend l’ensemble de l’ouvrage, offre aussi à la poète la voie belle et lumineuse vers les enchantements de la vie, de l’enfance, de l’ouverture à l’autre, autant de lumières que projette l’écriture poétique. Mais, lancinantes, reviennent les images funèbres et anxieuses de l’oubli odieux (« quand l’amnésie referme/les grilles des camps »), de l’indifférence (« J’ai beau crier/nul ne m’entend »). Dans un mouvement de balancier, comme si la poète ne voulait nous abandonner sous le dais noir du désespoir, resurgissent les espérances, « Il est temps/ de réinventer la beauté », mais aussi les souvenirs d’enfance, comme l’évocation de parents mélomanes (« Je suis blottie/sur tes genoux,/tu bats la mesure,/tu murmures les notes. Maman dans ses cordes/et toi dans tes cuivres. »), évocation aussitôt altérée par le regret de n’être pas musicienne elle-même et de n’avoir que des mots. Des images de la guerre hantent aussi la mémoire et reviennent comme pour implorer le rêve de paix.

Les textes ne sont pas datés, mais on devine que certains d’entre eux, comme ceux issus des « feuilles tombées, éparpillées, d’un carnet de voyage », ont fait l’objet d’une relecture par l’autrice qui les a disposées notamment dans Écrire par terre. On y évoque des trains, des villes (Rome, Berlin, Jérusalem), des paysages, des lumières, mais aussi l’exode.

Il y a ce Cher Ailleurs que la poète interroge (« t’ai-je trouvé ? ») Et la réponse, comme une fulgurance : « Chère Railleuse,/ne sais-tu pas ? / Me trouver, c’est te perdre ».

On pourrait multiplier à l’infini les évocations de ce qui fait la grâce sans cesse renouvelée de ce recueil, citer l’un ou l’autre vers encore dont l’encre est d’arc en ciel, retrouver les sonorités multilingues, évoquer l’amour de la Lettonie lui aussi accroché symboliquement à l’enfance (comme dans ce magnifique texte dédié à Criquelions, la maison de l’enfance, « perdue en 1945 »).

Chacune des lectures que nous faisons de Temps sans faux, ouvrant maintenant les pages au hasard, nous offre une résonance renouvelée du bonheur de lecture initiale. N’est-ce pas là ce qui fait d’une écriture, une œuvre ? Cette force vive qui nous est transmise par les mots, dont l’enfant va s’emparer « Omaïe, je sais écrire, tout à coup ! », s’exclame-t-il ! Et on se demande qui est cet enfant ? N’est-il pas aussi cette poète dont nous refermons à présent le recueil ?

Jean Jauniaux


Photo 132 de Temps sans faux

Rose-Marie François © 2024